Comment concilier aspiration à la mobilité et lutte contre le réchauffement climatique, quand les experts prévoient que le transport aérien va encore battre ses records dans les années à venir, avec 4,9 milliards de passagers en 2024 ? L’économiste Jean-Pascal Gayant présente l’état des lieux. Et du défi.
Une récente étude s’est efforcée d’évaluer la croissance mondiale des émissions de gaz à effet de serre liée au tourisme. Entre 2009 et 2019, cette croissance était de 3,5 % par an. Les auteurs de l’étude prévoient que celle-ci sera de 3 à 4 % par an à l’avenir, ce qui correspond à un doublement des émissions tous les 20 ans. Ces perspectives, catastrophiques pour l’environnement, sont avant tout portées par les transports, en particulier par le transport aérien dont l’activité bat de nouveaux records chaque année. Les États-Unis, la Chine et l’Inde sont responsables à eux seuls de 39 % des émissions mondiales dues au tourisme et, fait marquant, ce sont avant tout les trajets domestiques (plus que les trajets internationaux) qui sont à l’origine du niveau dramatique d’émissions de gaz à effets de serre.
Les « émetteurs-pollueurs » du monde entier ne sont donc pas que de riches américains sillonnant la planète pour passer du bon temps sur des plages ensoleillées. Une grande partie des trajets est liée aux déplacements professionnels, familiaux et amicaux de la classe moyenne des pays avancés et émergents : l’usager type du transport aérien est aussi bien le jeune actif qui vient passer une semaine en famille que le couple de retraités qui s’offre une escapade dans une capitale européenne. Telle est la réalité à laquelle nous sommes confrontés : nous sommes tous fautifs et nous ne pourrons pas lutter efficacement contre le réchauffement climatique sans modifier considérablement nos habitudes de mobilité.
La mobilité, un droit essentiel
Or, ces opportunités de mobilité sont devenues un droit essentiel aux yeux des citoyens des démocraties libérales. Tout comme nous jouissons de la liberté de pensée et d’expression, nous revendiquons le droit à la connaissance et nous préconisons l’ouverture vers l’autre. La mobilité est une condition de cet esprit de progrès et de fraternité. Imaginons que nous soyons désormais contraints à un nombre extrêmement réduit de trajets : le repli sur nous-mêmes serait inévitable, notre connaissance des autres peuples et cultures se limiterait à l’image déformée qu’en offrent les réseaux sociaux, les jeunes actifs renonceraient à des opportunités professionnelles, l’entre-soi et l’endogamie redeviendraient la norme…
La mobilité est à la fois un facteur d’épanouissement personnel et d’oxygénation des sociétés. Si la fourniture des denrées alimentaires peut largement se réorganiser sur des circuits courts, la fourniture des denrées de l’esprit ne peut se contenter du proche voisinage.
Le défi de la conciliation de l’aspiration à la mobilité et de la lutte contre le réchauffement climatique est une des questions les plus insolubles qui soit posée à notre temps. L’urgence climatique fait peser le risque évident d’une très grande limitation de la mobilité des êtres humains. Une telle contrainte sera vue comme inacceptable par la grande majorité d’entre eux. Quel gouvernement d’une démocratie libérale osera s’aventurer dans une telle direction au risque de bafouer les principes de liberté qui sont son essence et sans lesquels elle perd sa légitimité ? On entend déjà la petite musique autoritaire de certains activistes du climat qui souhaitent s’arroger le droit de restreindre la mobilité des citoyens au nom d’un principe supérieur de préservation de la planète et de son règne animal, au risque de verser dans une nouvelle forme de tyrannie.
Source ouest-france.fr