Le Maroc s’est engagé depuis plus d’une décennie dans une transition énergétique ambitieuse, visant à réduire sa dépendance aux énergies fossiles et à favoriser les énergies renouvelables. Pourtant, malgré des objectifs clairs et des investissements conséquents, le pays peine à atteindre les résultats escomptés. En cause : une réglementation inadaptée et un cadre juridique qui freine l’essor des projets.

Dans cet entretien accordé à notre confrère Challenge, Dr Saïd Guemra, expert en transition énergétique, décrypte les enjeux et les défis à relever pour que le Royaume puisse réellement atteindre son indépendance énergétique d’ici 2050.

Des ambitions élevées, des résultats en demi-teinte

Depuis 2009, sous l’impulsion de la vision royale, le Maroc a mis en place une stratégie énergétique fondée sur l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. L’objectif affiché est d’atteindre un mix énergétique composé de plus de 65 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050.

Cependant, malgré cette ambition, les résultats restent en deçà des attentes. En 2023, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique du pays ne représentait que 21 %, alors qu’elle aurait pu atteindre 40 % si des réformes adaptées avaient été mises en place.

« En 2023, nous ne sommes qu’à 21 % de renouvelables dans notre mix électrique, alors que nous aurions pu être à plus de 40 % avec une réglementation appropriée », affirme Dr Saïd Guemra.

Selon lui, le retard accumulé s’explique notamment par des obstacles réglementaires qui entravent aussi bien les grands projets que les initiatives d’autoproduction chez les ménages et les entreprises.

Un cadre réglementaire inadapté aux investissements privés

L’une des principales contraintes au développement des énergies renouvelables au Maroc est l’absence d’un cadre réglementaire clair et fonctionnel.

« Nous sommes dans une situation de non-réglementation », déplore Dr Guemra. « Seule une partie de la loi 13-09 autorise les investissements privés, mais elle connaît de nombreuses difficultés. D’après le Conseil de la concurrence, 98 projets relevant de cette loi n’ont pas été autorisés, en raison d’un manque de capacité d’accueil, alors que l’ANRE estime que 7 236 MW seraient disponibles. »

À l’échelle des particuliers et des industries, la situation est encore plus complexe. Plusieurs lois (58-15, 40-19, 82-21) encadrent le secteur, mais leurs décrets d’application ne sont toujours pas publiés, empêchant ainsi tout développement significatif de l’autoproduction.

« Dans de nombreux pays, comme l’Allemagne ou l’Australie, l’autoproduction représente une part importante du mix énergétique. Chez nous, elle reste marginale faute d’un cadre incitatif. »

Pour rattraper son retard et espérer atteindre son indépendance énergétique en 2050, le Maroc devrait accélérer l’installation de nouvelles capacités. Dr Guemra estime qu’il faudrait mettre en place 700 à 800 MW de grands renouvelables par an, ainsi que plus de 80 000 installations d’autoproduction chaque année, nécessitant un investissement de 3,2 milliards de dirhams par an.

L’efficacité énergétique, un levier sous-exploité

Si le Maroc mise sur le développement des énergies renouvelables, il ne doit pas négliger l’efficacité énergétique, qui constitue un levier majeur de la transition énergétique.

« L’efficacité énergétique est la priorité avant même les renouvelables », insiste Dr Guemra. « Elle permet de réduire la consommation énergétique à moindre coût. Or, à ce jour, malgré un objectif de 20 % d’économie d’énergie d’ici 2030, nous n’avons même pas atteint 1 % de réduction mesurable. »

Le potentiel est pourtant considérable, notamment dans l’industrie, où les pertes énergétiques restent très élevées. « Nous avons publié le cas d’un industriel marocain qui perdait 60 % de son productible solaire, faute de pouvoir l’injecter dans le réseau », illustre-t-il.

Un manque de coordination et une gouvernance fragmentée

Outre les blocages réglementaires, la multiplicité des acteurs institutionnels complique la mise en œuvre de la transition énergétique.

« Entre MASEN, l’ONEE, l’AMEE, la SIE, le ministère de l’Énergie, l’ANRE, les distributeurs et le ministère de l’Intérieur, la gouvernance énergétique est éclatée. Chaque acteur détient une partie de la décision, ce qui ralentit considérablement les projets », explique Dr Guemra.

Il plaide ainsi pour une simplification des procédures et la mise en place d’un guichet unique pour l’énergie renouvelable, afin d’accélérer l’instruction des projets.

« En Tunisie, la demande d’autorisation est adressée à un seul organisme, qui la traite en 15 jours. Au Maroc, nous nous heurtons à une bureaucratie qui freine l’investissement. »

Un marché de l’emploi en difficulté

Le manque de dynamisme du secteur énergétique a également un impact sur l’emploi. Malgré la formation de nombreux ingénieurs et techniciens spécialisés dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, le marché du travail peine à les absorber.

« Nos jeunes diplômés se retrouvent sans emploi ou contraints de se reconvertir dans d’autres secteurs », regrette Dr Guemra. « Beaucoup choisissent d’émigrer vers des pays où la transition énergétique est plus avancée. »

Pour lui, la solution passe par une réforme profonde du cadre réglementaire afin de dynamiser le marché des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, et ainsi créer des opportunités pour les jeunes talents marocains.

Conclusion : une réforme urgente et nécessaire

Le Maroc dispose d’un potentiel énorme en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Cependant, sans une réforme en profondeur de la réglementation et de la gouvernance du secteur, il sera difficile d’atteindre les objectifs fixés pour 2050.

« Nous avons une vision claire et des ressources abondantes, mais il faut lever les freins qui empêchent leur exploitation », conclut Dr Guemra. « Si rien ne change, nous risquons de passer à côté d’une opportunité historique pour garantir notre indépendance énergétique et renforcer notre souveraineté. »

Avec Challenge Maroc

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