Alors que les effets du changement climatique se font sentir avec une intensité croissante, la filière agrumicole marocaine est à un tournant décisif. C’est dans ce contexte que se tient à Marrakech, du 13 au 15 mai 2025, le premier Congrès national scientifique des agrumes, organisé par Maroc Citrus sous l’égide du Ministère de l’Agriculture, autour du thème : « Challenges multiples sur la filière des agrumes : quels leviers pour agir ? »

Cette rencontre s’inscrit dans un moment critique pour une activité agricole qui, chaque année, produit 1,5 million de tonnes d’agrumes, dont 500 000 tonnes sont exportées, et qui fait vivre plus de 13 000 familles à travers le pays.

Un secteur en contraction après des années de croissance

Entre 2010 et 2016, la filière a connu une expansion spectaculaire grâce au Plan Maroc Vert et à l’exploitation des terres Sodea : les surfaces plantées sont passées de 98 000 à 128 000 hectares, et la production a atteint un record de 2,6 millions de tonnes. Mais cette dynamique s’est essoufflée. La combinaison d’une surproduction non absorbée par les capacités de commercialisation et des aléas climatiques a provoqué un recul brutal : entre 2016 et 2024, la superficie a diminué de 29%, soit 37 000 hectares arrachés. Le verger national est désormais limité à 91 342 hectares, et les rendements ont chuté.

Des vergers plus jeunes et mieux ciblés

Malgré ce repli, le secteur montre des signes de réorganisation. La moitié des plantations ont moins de 15 ans, et les producteurs se tournent vers des variétés plus rentables. Parmi elles, la Nadorcott, développée localement, tire son épingle du jeu. Exportée dans plus de 40 pays, elle séduit par sa qualité, sa rentabilité et son adaptation au calendrier commercial. Sa réussite est le fruit du travail structuré de l’Association des Producteurs de Nadorcott au Maroc (APNM).

À l’export, une montée en gamme imposée par la concurrence

L’arrivée en force des concurrents turcs et égyptiens, notamment sur le marché russe, a fait perdre au Maroc des parts de marché. Cette pression a poussé les acteurs marocains à renforcer la qualité : certifications, traçabilité, normes internationales (GlobalGAP, SMETA, GRASP…). Toutefois, certains produits comme l’orange de bouche accusent le coup. La baisse de compétitivité, en particulier face à l’Égypte, a raccourci la saison d’export, fragilisé les emplois saisonniers et diminué l’approvisionnement des usines de transformation. Une opportunité reste néanmoins à saisir : la crise sanitaire du verger brésilien, touché par le virus du Greening, pourrait libérer des marchés à l’export où le Maroc pourrait se repositionner.

Premier défi : l’eau, talon d’Achille de la filière

La sécheresse persistante est aujourd’hui la menace la plus urgente. Alors que l’eau de dessalement sera principalement réservée aux usages domestiques, l’agriculture devra se contenter d’eaux de barrage et recyclées – largement insuffisantes. Maroc Citrus plaide pour un plan hydrique dédié, incluant des interconnexions massives (« autoroutes de l’eau »), la généralisation du dessalement agricole et une gouvernance concertée entre les pouvoirs publics et les professionnels.

Deuxième défi : structurer un marché encore trop déséquilibré

Le Conseil de la Concurrence, dans un rapport publié en mars 2024, a mis en lumière plusieurs faiblesses structurelles : fragmentation foncière, poids excessif des intermédiaires, manque d’organisation des producteurs. Pour y remédier, il est proposé de mutualiser les infrastructures, réformer les marchés de gros et moderniser la logistique post-récolte afin de mieux maîtriser la valeur ajoutée et de stabiliser les prix.

Troisième défi : pénurie de main-d’œuvre, une crise silencieuse

Enfin, le secteur agricole souffre d’un manque croissant de main-d’œuvre qualifiée, aggravé par le développement du programme d’Aide Sociale Directe (ASD) qui rend le travail saisonnier peu attractif. Pour Maroc Citrus, il est urgent d’instaurer un modèle d’emploi rural durable, conciliant protection sociale, stabilité et incitations à la formalisation.

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