Le Maroc s’approche-t-il dangereusement d’un épuisement de sa ressource vitale ? C’est ce que laisse entendre un rapport stratégique percutant publié en juin 2025 par l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS). Selon ce think tank, la crise de l’eau n’est plus seulement environnementale. Elle devient une menace pour la souveraineté nationale. Et pour l’éviter, un changement de cap s’impose d’urgence.

Une crise structurelle, pas seulement climatique

L’IMIS tire la sonnette d’alarme : la crise actuelle résulte autant de mauvaises politiques agricoles et d’une gouvernance éclatée que du dérèglement climatique. Les grandes stratégies agricoles – Plan Maroc Vert puis Génération Green – ont certes modernisé le secteur, mais au prix d’une pression excessive sur les nappes et les barrages. L’agriculture capte 86 % des prélèvements en eau, et les cultures intensives ont vidé les réserves : 35 à 40 % du déficit hydrique serait lié directement à ces choix de développement.

Entre 1960 et 2025, la disponibilité d’eau par habitant a été divisée par plus de 4, passant de 2.600 à 600 m³/an. Le Maroc a officiellement franchi le seuil du stress hydrique sévère, avec des prévisions annonçant la pénurie absolue d’ici 2035.

Le mythe de l’efficacité agricole

La modernisation technique n’a pas freiné la consommation. Les économies générées par le goutte-à-goutte ont été annulées par l’extension continue des surfaces irriguées et l’introduction de cultures très gourmandes en eau, comme l’avocat ou la pastèque. Résultat : des gains d’efficience trompeurs, qualifiés d’« illusionnistes » par le rapport.

Une gouvernance fragmentée et dépassée

La multiplication des acteurs sans coordination aggrave la situation. Le Conseil supérieur de l’eau ne s’est pas réuni depuis 2001, les Agences de bassin hydraulique sont sous-financées, les outils de contrôle font défaut, et les collectivités locales sont tenues à l’écart. Le pilotage reste vertical et cloisonné, malgré les efforts du Roi Mohammed VI pour impulser une gestion intégrée.

Pire encore, les données hydriques sont incomplètes, dispersées et peu fiables. L’IMIS évoque une « crise silencieuse de la donnée » qui empêche toute planification rigoureuse. Cette opacité empêche d’évaluer l’état réel des nappes ou l’impact des politiques mises en œuvre.

Des pressions multiples sur une ressource en recul

La crise est multidimensionnelle : raréfaction des pluies, évaporation croissante, surexploitation des nappes, pollution, urbanisation, tourisme, artificialisation des sols, et jusqu’à 38 % de pertes dans les réseaux de distribution d’eau potable.

Le tout dans un contexte de déséquilibre territorial : les deux tiers de l’eau sont concentrés dans 15 % du territoire, laissant le Sud et le Centre dans une situation critique. Même les grands barrages, pourtant portés à une capacité de 20 milliards de m³, peinent à jouer leur rôle à cause de l’envasement. En 2024, à peine 25 % de cette capacité était réellement mobilisable.

Dix mesures pour éviter la panne sèche

Face à cette situation, l’IMIS avance dix recommandations stratégiques pour retrouver une sécurité hydrique :

  1. Réformer la gouvernance via un Conseil national doté de réels pouvoirs.
  2. Conditionner les aides agricoles à des bilans hydriques certifiés.
  3. Créer une autorité indépendante pour réguler les usages et fixer les tarifs.
  4. Lancer une plateforme nationale des données de l’eau, fiable et interopérable.
  5. Tripler la production d’eau non conventionnelle (dessalement, réutilisation).
  6. Réduire de moitié les fuites urbaines via des réseaux intelligents.
  7. Structurer une filière HydroTech nationale.
  8. Renforcer la gouvernance territoriale avec de vrais comités de bassin.
  9. Ancrer la sobriété dans l’éducation, via programmes scolaires et campagnes.
  10. Mobiliser la finance verte, en anticipant les normes européennes à venir.

 

Avec Le Matin

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