Tandis que les grands groupes marocains peaufinent leurs plans de décarbonation, les petites et moyennes entreprises, elles, peinent à suivre la cadence. Le compte à rebours est lancé : dès janvier 2026, l’Union européenne appliquera son Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), une taxe destinée à protéger son industrie des importations issues de pays aux normes environnementales plus souples. Pour le Maroc, l’enjeu dépasse de loin les 3,7 % des exportations concernées dans un premier temps : il s’agit d’une transformation structurelle de toute l’économie exportatrice.

Un choc asymétrique

Dans cette course au carbone zéro, le déséquilibre est flagrant. Les géants comme l’OCP, principal exportateur d’engrais azotés, disposent de ressources et d’équipes capables de mesurer précisément leurs émissions, d’investir dans les énergies vertes et de s’aligner sur les standards européens. Mais pour la majorité des PME marocaines, la marche est trop haute.

Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), ces entreprises font face à une triple impasse : un manque de compétences techniques, des coûts d’adaptation trop élevés et un accès limité à l’information fiable. Réaliser un bilan carbone conforme aux exigences européennes exige des ingénieurs spécialisés, denrée rare sur le marché marocain. Sans données précises, les entreprises se voient appliquer des valeurs « par défaut », souvent exagérées, qui plombent leur compétitivité.

Et quand bien même elles voudraient se conformer, le ticket d’entrée reste dissuasif : audits, certification, transition énergétique, adaptation industrielle… autant d’étapes coûteuses qui grèvent déjà des marges fragiles.

Bruxelles allège la charge, Rabat s’interroge

Ironie du sort : la Commission européenne, consciente de la complexité du dispositif, a accordé à ses propres importateurs plusieurs assouplissements. Un seuil d’exemption de 50 tonnes de CO₂ par an a été instauré, épargnant plus de 90 % des petites structures européennes. Le stock de certificats à détenir a également été allégé, passant de 80 % à 50 %.

Rien de tel pour les exportateurs marocains, qui restent soumis à l’intégralité des obligations, quelle que soit leur taille. Pire encore, leurs déclarations devront être validées par des vérificateurs européens accrédités — un surcoût et une dépendance de plus dans une équation déjà déséquilibrée.

Une taxe carbone marocaine comme bouée de sauvetage ?

Conscient du péril, le Maroc tente de réagir. Sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixe un cap de neutralité carbone à l’horizon 2050, et plusieurs programmes d’appui comme Tatwir Économie Verte visent à accompagner les entreprises dans cette transition. Mais les moyens restent dispersés et le calendrier, serré.

Le CESE avance donc une proposition audacieuse : instaurer une taxe carbone nationale. Son principe ? Faire payer localement un coût carbone, afin que ce montant puisse être déduit du MACF européen. Mieux : les recettes — estimées entre 2,7 et 3 milliards de dirhams par an — pourraient alimenter un fonds d’accompagnement des PME pour financer leurs investissements de décarbonation.

Appliquée progressivement, en commençant par les filières les plus structurées comme le ciment, cette taxe pourrait transformer une contrainte en levier. Encore faut-il que sa mise en œuvre soit rapide, coordonnée et orientée vers le soutien réel des plus vulnérables.

Une urgence nationale

Le temps presse. Si les entreprises marocaines n’adaptent pas leurs processus avant 2026, une part significative de leurs exportations risque d’être pénalisée, voire exclue du marché européen. La transition écologique, autrefois perçue comme un horizon lointain, devient désormais un impératif de survie économique.

Le CESE le résume sans détour : sans accompagnement ciblé et mobilisation collective, le MACF pourrait se transformer en mur infranchissable pour une large partie du tissu industriel marocain. Et les PME, pourtant pilier de l’économie nationale, risquent bien d’y laisser des plumes.

Avec FNH

Ajouter un commentaire

Exit mobile version
×