Par Dr. BOITI Mohamed
Docteur en Finance Durable & ISR
Professeur universitaire & consultant expert en RSE et Décarbonation

 

La COP30 vient de s’achever à Belém, au cœur de l’Amazonie brésilienne. Au-delà des discours et des engagements, cette conférence marque un tournant concret : l’action climatique ne relève plus du seul volontarisme des États, elle devient un levier économique accessible, mesurable et financé.

Pour le Maroc, qui a présenté sa troisième Contribution Déterminée au niveau National (CDN 3.0) saluée pour sa crédibilité et sa transparence, la question n’est plus « faut-il agir ? », mais « comment transformer ces engagements en opportunités stratégiques pour nos entreprises ? ». Car comme le démontre la COP30 : il est rentable d’être responsable.

I. PREMIÈRE LEÇON : LA FINANCE VERTE S’OUVRE AUX PME MAROCAINES

Le Green Checker : un passeport pour la finance internationale
En marge de la COP30, la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé l’extension de son outil « Green Checker » au Maroc. Gratuit et simple d’usage, cet outil permet aux TPE/PME et coopératives marocaines de vérifier si leurs projets sont alignés avec la taxinomie verte européenne et donc éligibles à des financements internationaux.

Concrètement, une PME casablancaise spécialisée dans le recyclage des déchets plastiques ou une coopérative agricole de Souss-Massa développant l’agriculture régénérative peut désormais auto-évaluer son projet, obtenir un score de conformité, et présenter un dossier crédible aux bailleurs de fonds européens.

Ce que cela change pour le Maroc :
Jusqu’ici, l’accès à la finance verte internationale était réservé aux grands groupes dotés de départements RSE structurés. Avec le Green Checker, la transition écologique se démocratise. Les PME, qui représentent 95 % du tissu économique marocain, peuvent enfin prouver leur performance climatique sans engager des consultants coûteux.

L’ISR : le chaînon manquant entre ambition et financement
Mais l’alignement taxonomique ne suffit pas. Pour que ces projets se concrétisent, il faut du capital. C’est là qu’intervient l’Investissement Socialement Responsable (ISR).

Les fonds ISR, qui intègrent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions d’allocation, représentent aujourd’hui plus de 35 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion dans le monde. Le Maroc, avec sa CDN 3.0 ambitieuse et son cadre réglementaire en construction (circulaire AMMC 03/19 sur les rapports ESG pour les sociétés cotées), devient progressivement éligible à ces flux.

Opportunité concrète :
Une PME marocaine certifiée « Green Checker » peut désormais attirer non seulement des prêts verts de la BEI, mais aussi des investisseurs institutionnels européens (fonds de pension, assureurs) à la recherche d’actifs ESG dans les marchés émergents. À condition de parler leur langage : données chiffrées, reporting transparent, trajectoire de décarbonation mesurable.

II. DEUXIÈME LEÇON : LES PARTENARIATS CLIMATIQUES DEVIENNENT DES ALLIANCES STRATÉGIQUES

Exit l’aide, place à la coopération gagnant-gagnant
À Belém, la ministre marocaine de la Transition énergétique, Leïla Benali, a renforcé le partenariat stratégique avec les Pays-Bas autour de trois piliers : hydrogène vert, énergies renouvelables et innovation technologique.

Ce partenariat illustre un changement de paradigme : la coopération climatique n’est plus une relation donateur-bénéficiaire, mais un échange fondé sur la complémentarité. Les Pays-Bas apportent leur expertise technologique et leurs capitaux ; le Maroc offre son potentiel solaire et éolien exceptionnel, sa position géographique stratégique (porte de l’Europe et de l’Afrique), des infrastructures portuaires et énergétiques de rang mondial (Tanger Med, Noor Ouarzazate), une main-d’œuvre qualifiée et compétitive, et un marché domestique en croissance.

L’hydrogène vert : de l’ambition à la réalité industrielle
Le Maroc vise une capacité de production d’hydrogène vert de 10 GW d’ici 2030. Ce n’est plus un projet lointain : des consortiums internationaux (Siemens, TotalEnergies, Envision) ont déjà signé des protocoles d’accord pour développer des méga-projets à Dakhla et Tan-Tan.

Ce que cela change pour les entreprises marocaines :
L’hydrogène vert ne profitera pas qu’aux géants industriels. Toute la chaîne de valeur est concernée : transport maritime décarbonné, industries chimiques (ammoniaque vert pour les engrais OCP), logistique portuaire, maintenance des infrastructures, formation des techniciens.

Le rôle de l’ISR ici :
Les projets d’hydrogène vert nécessitent des investissements colossaux (plusieurs milliards de dollars). Les fonds ISR, notamment les green bonds (obligations vertes), sont les instruments privilégiés pour lever ces capitaux. Le Maroc a déjà émis avec succès 1 milliard d’euros d’obligations vertes en 2021. La COP30 confirme que cette voie doit être amplifiée.

III. TROISIÈME LEÇON : LA NATURE N’EST PLUS UN DÉCOR, MAIS UNE INFRASTRUCTURE STRATÉGIQUE

Belém : un choix symbolique et stratégique
En organisant la COP30 au cœur de l’Amazonie, le Brésil a envoyé un message puissant : les écosystèmes vivants ne sont pas des « espaces à protéger par bonté d’âme », mais des infrastructures critiques pour la résilience climatique, la sécurité alimentaire et l’économie.

Pour le Maroc, cette leçon résonne particulièrement fort. Comme le rappelle régulièrement Sa Majesté le Roi Mohammed VI : « Le littoral n’est pas qu’une ressource à exploiter, c’est un bien commun à régénérer. »

L’économie bleue : un gisement sous-exploité
Le Maroc dispose de 3 500 km de côtes, une ZEE (Zone Économique Exclusive) parmi les plus riches en biodiversité marine de la Méditerranée et de l’Atlantique, et une position géostratégique unique. Pourtant, l’économie bleue marocaine reste largement sous-exploitée.

Opportunités concrètes post-COP30 :

  1. Aquaculture durable : développement de fermes marines certifiées ASC (Aquaculture Stewardship Council), éligibles aux financements verts.
  2. Tourisme côtier régénératif : écotourisme, plongée durable, réhabilitation des écosystèmes côtiers (mangroves, herbiers marins) financés par des crédits carbone bleu.
  3. Énergies marines renouvelables : éoliennes offshore, énergie houlomotrice (vagues), dont les projets pilotes peuvent attirer des investisseurs ISR spécialisés dans les infrastructures durables.

Le littoral comme actif financier
La COP30 a également mis en avant les mécanismes de financement innovants basés sur la nature : crédits carbone bleu, obligations bleues, paiements pour services écosystémiques.

Exemple : un projet de restauration de mangroves sur le littoral atlantique marocain peut générer des crédits carbone vendus sur les marchés volontaires internationaux, tout en protégeant les zones côtières contre l’érosion et en créant des nurseries pour les poissons. Un tel projet peut être financé par des fonds ISR à impact, qui recherchent des co-bénéfices environnementaux et sociaux mesurables.

IV. L’ISR : LE CARBURANT FINANCIER DE LA TRANSITION MAROCAINE

Pourquoi l’ISR est incontournable
Les trois leçons de la COP30 convergent vers un même impératif : la transition climatique a besoin de capitaux massifs, patients et alignés sur des critères extra-financiers. C’est précisément la définition de l’ISR.

Le Maroc a besoin de mobiliser 40 milliards de dollars d’ici 2030 pour atteindre ses objectifs climatiques (selon la CDN 3.0). Les budgets publics ne suffiront pas. Le secteur privé doit être le moteur, et l’ISR est le carburant.

Comment attirer les investisseurs ISR au Maroc ?

  1. Renforcer la transparence ESG : L’AMMC doit aller plus loin que la circulaire 03/19 : rendre obligatoire la publication de rapports ESG pour toutes les grandes entreprises (cotées ou non), avec des standards internationaux (GRI, SASB).
  2. Créer un label ISR marocain : à l’image du label ISR français ou du Nordic Swan, le Maroc pourrait créer un label officiel certifiant les fonds d’investissement et les projets conformes aux critères ESG nationaux. Cela rassurerait les investisseurs étrangers et dynamiserait l’épargne locale.
  3. Développer le marché des obligations vertes : le succès de l’émission de 2021 doit être répliqué. Le Maroc pourrait émettre des green bonds dédiés à des secteurs spécifiques : énergies renouvelables, économie bleue, agriculture durable, villes intelligentes.
  4. Former les gestionnaires d’actifs locaux : les banques et assurances marocaines doivent intégrer l’analyse ESG dans leurs décisions d’investissement. Cela nécessite une montée en compétence massive des équipes financières.

L’OPPORTUNITÉ HISTORIQUE DU MAROC
La COP30 de Belém confirme un changement de paradigme : l’action climatique n’est plus réservée aux États ou aux grands groupes. Elle devient opérationnelle, inclusive et financée, à condition de parler le langage des données, de la transparence et de la coopération.

Le Maroc n’est pas en retard. Il est à l’aube d’une opportunité historique : transformer ses engagements en projets concrets, bancables et locaux. Avec le Green Checker, nos PME peuvent accéder à la finance verte. Avec l’hydrogène vert, nos industries peuvent se décarboner tout en créant de la valeur. Avec l’économie bleue, notre littoral peut devenir un actif stratégique, inclusif et rentable.

Mais cette transformation ne se fera pas par décret. Elle exige une mobilisation du secteur privé, un alignement des flux financiers via l’ISR, et une montée en compétence généralisée sur les enjeux ESG.

Car au final, la COP30 nous rappelle une vérité simple mais puissante : il est rentable d’être responsable. Les entreprises marocaines qui l’auront compris dès aujourd’hui seront les champions de demain. Les autres regarderont le train de la finance verte partir sans eux.

Le compte à rebours a commencé. 2030, c’est dans 5 ans.

Un commentaire

Ajouter un commentaire

Exit mobile version
×