Le Maroc glisse officiellement de la zone de stress hydrique à celle de rareté, selon l’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES). L’accès à l’eau potable, la durabilité agricole et l’équilibre écologique deviennent incertains, dans un contexte où les nappes s’épuisent, les barrages se vident et les précipitations se raréfient. La crise n’est plus conjoncturelle ; elle touche les fondamentaux du modèle de développement.
Depuis les années 1960, la dotation annuelle en eau douce par habitant a été divisée par plus de quatre, passant de 2 500 m³ à moins de 600 m³. Dans plusieurs zones rurales, les ménages s’appuient presque exclusivement sur les nappes phréatiques, qui assurent l’approvisionnement de plus de 90 % d’entre eux. Ces réserves s’affaiblissent rapidement, car elles remplacent désormais l’eau de surface, elle-même en forte baisse.
L’agriculture concentre près de 90 % de l’usage des ressources hydriques et reste l’activité qui exerce la pression la plus forte. Les cultures irriguées destinées à l’export, l’usage intensif des intrants agricoles et l’extension en altitude fragilisent les sources naturelles. L’INRA estime que 60 à 80 % des zones humides ont disparu, réduisant les réservoirs naturels qui, historiquement, servaient d’amortisseur pendant les sécheresses.
Pendant plusieurs décennies, la réponse publique a consisté à augmenter l’offre, principalement grâce aux barrages et aux infrastructures hydrauliques. Ce modèle a permis une généralisation de l’accès à l’eau potable et le développement de plus de deux millions d’hectares irrigués. Mais aujourd’hui, il montre ses limites. Les nappes ne se reconstituent plus au même rythme, les barrages sont affectés par des apports irréguliers et la planification souffre d’un manque de données consolidées.
Dans le même temps, les institutions consacrées à la gestion de l’eau existent mais peinent à produire des effets visibles. Plusieurs dispositifs – lois de 1995 et 2015, Conseil supérieur de l’eau et du climat, Conseil national de l’environnement – restent en attente d’une mise en œuvre plus forte et mieux coordonnée entre territoires.
La crise marocaine s’inscrit aussi dans un contexte mondial contrasté. L’eau couvre la majorité de la surface terrestre mais l’eau douce réellement mobilisable reste limitée, concentrée entre quelques pays comme le Canada, la Russie, le Brésil ou la Chine. Et un tiers de la population mondiale n’a toujours pas accès à l’eau potable. Dans d’autres régions, la consommation dépasse 250 litres par jour et par habitant, quand au sud du Sahara, elle ne dépasse parfois pas dix litres.
Le Maroc se retrouve donc devant une équation stratégique : sécuriser durablement son approvisionnement, préserver l’agriculture et éviter un basculement social dans les zones les plus fragiles. La gestion intégrée des ressources, la gouvernance territoriale et l’accélération des solutions structurelles – dessalement, réutilisation, stockage, transparence hydrique – seront les arbitrages décisifs des années à venir. Sans cela, la rareté cessera d’être un indicateur et deviendra un seuil irréversible.
Avec Challenge


