Le Maroc s’est imposé comme un pilier du textile mondial. Sa proximité stratégique avec l’Europe, sa main-d’œuvre qualifiée et ses accords commerciaux avantageux en font un partenaire recherché, notamment dans le segment exigeant du fast fashion. Pourtant, au moment où la transition écologique s’impose comme un passage obligé pour rester dans la course, l’industrie textile nationale reste confrontée à des défis de taille.
Dans un entretien accordé à Challenge, Anas Al-Ansari, expert reconnu du secteur, tire la sonnette d’alarme. S’il salue les acquis structurels du Royaume, il met en garde contre le retard pris en matière de durabilité, d’intégration industrielle et de montée en gamme.
Un modèle encore trop dépendant
Aujourd’hui encore, la majorité des unités marocaines fonctionnent dans une logique de sous-traitance, avec une faible capacité d’innovation. Le manque d’investissements en recherche et développement ou en digitalisation bride le potentiel du secteur. Pire : les maillons en amont, comme la filature, le tissage ou la teinture, dépendent largement des importations, allongeant les délais de production et affaiblissant la compétitivité globale.
«Il est urgent de structurer une chaîne de valeur complète et locale», insiste Al-Ansari. L’objectif ? Réduire la dépendance aux intrants étrangers, gagner en agilité et surtout, répondre aux exigences grandissantes des marques internationales.
Une durabilité encore théorique
La pression monte sur les marques pour qu’elles s’alignent sur des standards environnementaux élevés, et les donneurs d’ordre reportent cette exigence sur leurs fournisseurs. Traçabilité, empreinte carbone, usage de produits chimiques ou gestion des eaux usées : le textile marocain doit impérativement rattraper son retard. Le virage vert, encore largement à négocier, devient une condition de survie.
Dans ce sens, des initiatives émergent. L’Association Marocaine des Industries du Textile et de l’Habillement (AMITH) s’active à travers son programme Dayem, qui propose diagnostics environnementaux, feuilles de route et accompagnement technique. La formation à la durabilité, le recyclage et l’éco-conception sont désormais au cœur des priorités, notamment en partenariat avec l’ESITH.
Des investissements structurants, mais à surveiller
Un signal encourageant est venu en mars 2025 avec l’annonce d’un partenariat entre le Maroc et le groupe chinois Sunrise. Cet investissement de 2,3 milliards de dirhams prévoit l’implantation de deux unités industrielles à Fès et Skhirat, avec à la clé 7.000 emplois directs et une production mieux intégrée.
Al-Ansari salue cette avancée stratégique, tout en appelant à la vigilance : «Il faut garantir que les entreprises locales puissent pleinement profiter de ces projets, tout en maintenant des standards environnementaux stricts et une montée en compétence des ressources humaines.»
Tirer parti des opportunités… encore mal exploitées
Le Maroc bénéficie d’accords de libre-échange puissants, notamment avec l’Union européenne et les États-Unis. Pourtant, nombre d’entreprises n’en tirent pas pleinement profit, souvent par méconnaissance des règles d’origine. «Il est indispensable d’accompagner les industriels avec des formations ciblées et des dispositifs d’appui concrets», souligne l’expert.
Parallèlement, la montée en gamme devient incontournable. Finie l’époque où la simple sous-traitance suffisait : aujourd’hui, c’est par le design, l’innovation et la qualité que les marques se démarquent sur les marchés internationaux.
Penser au-delà de Casablanca et Tanger
Enfin, pour soutenir une croissance plus inclusive, le développement régional doit être repensé. Des territoires comme Fès-Meknès, l’Oriental ou encore Beni Mellal-Khénifra disposent d’un potentiel industriel encore sous-exploité. Y développer des filières textiles permettrait non seulement de dynamiser l’emploi, mais aussi de désengorger les zones industrielles traditionnelles.
Avec Challenge