Pour accélérer sa transition énergétique, le Maroc parie désormais sur le gaz naturel comme levier principal de réduction de sa dépendance au charbon. D’ici 2030, ce combustible devrait représenter près d’un tiers du mix électrique national, alors qu’il n’en constitue aujourd’hui qu’une infime part. Le gouvernement entend ainsi conjuguer sécurité d’approvisionnement et alignement avec les objectifs climatiques internationaux.
La manœuvre est pilotée par le ministère de la Transition énergétique, sous la houlette de Leïla Benali, dans un contexte mondial marqué par une pression croissante pour la décarbonation. Le gaz naturel est ainsi envisagé comme un allié stratégique : plus propre que le charbon, mais aussi capable de pallier l’intermittence des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien.
Un signal fort a été donné en avril 2025 avec le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt pour construire un réseau gazier national. Il s’agit d’attirer des opérateurs privés autour d’une série de projets structurants, parmi lesquels figure le terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) de Nador West Med. Ce dernier, équipé d’une unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU), marquera une étape décisive vers l’autonomie, en mettant fin à la dépendance aux installations espagnoles pour le traitement du gaz importé.
Les ambitions du Royaume se manifestent aussi par une hausse rapide des volumes importés. En 2024, le Maroc a réceptionné près de 886 millions de mètres cubes de gaz naturel, devançant la France comme principal client du gaz espagnol. Ce volume correspond à une capacité électrique de 9,7 GW, révélatrice de l’essor des besoins industriels et de la volonté de verdir le parc thermique.
La construction de deux autres FSRU est également prévue à Mohammedia (ou Jorf Lasfar) et à Dakhla, avec en perspective la mise en place d’un réseau de gazoducs interconnectés. Quatre pipelines sont en cours d’étude : deux liés aux gisements nationaux de Tendrara et d’Anchois, un troisième destiné à relier le réseau au Gazoduc Maghreb-Europe, et un quatrième pour desservir les zones industrielles du sud.
Ce maillage pourrait, à terme, se greffer sur le projet transcontinental du Gazoduc Nigeria-Maroc, destiné à acheminer le gaz ouest-africain vers l’Europe. Une vision qui se concrétise dans un protocole d’accord signé en mars 2024 par plusieurs institutions (ONEE, ONHYM, ANP, ADM, Nador West Med), instaurant une gouvernance commune pour accélérer la réalisation des infrastructures. Le financement reposera sur une combinaison de fonds publics, d’investissements privés et d’ouverture aux capitaux étrangers.
Cependant, malgré cette dynamique, le charbon reste ultra-dominant. En 2024, il représentait encore 70% de la production d’électricité nationale, avec des centrales majeures comme celles de Jorf Lasfar et de Safi toujours sous contrat jusqu’à 2044 et 2048. Ces engagements contractuels freinent la sortie rapide du charbon et rendent incertain le respect de l’objectif 2040, date que le Maroc s’est engagé à atteindre en rejoignant l’Alliance internationale Powering Past Coal lors de la COP28.
La question reste entière : le pari gazier suffira-t-il à amorcer un véritable basculement énergétique, sans compromettre la stabilité de l’approvisionnement ni la compétitivité industrielle ?
Avec Challenge.ma