Alors que les tensions géopolitiques redessinent les cartes de l’énergie mondiale, le Maroc avance ses pions avec méthode. Face à une demande nationale en gaz naturel appelée à tripler d’ici 2040, le Royaume construit, pierre par pierre, les fondations d’une souveraineté énergétique ambitieuse, portée par une stratégie pragmatique : diversification des sources, infrastructures modernes, coopération internationale, et surtout valorisation de ses propres ressources.
Le gaz, levier stratégique pour la souveraineté énergétique
Loin d’un effet de mode ou d’une réaction conjoncturelle, le virage gazier du Maroc s’inscrit dans une vision à long terme. Dès 2021, Rabat signait des accords pour inverser le flux du gazoduc Maghreb-Europe via l’Espagne, assurant un accès au GNL international. Depuis, les projets s’accélèrent. Le ministère de la Transition énergétique a récemment lancé un appel à manifestation d’intérêt pour développer un vaste réseau gazier national. En ligne de mire : un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) à Nador West Med, connecté à des gazoducs desservant les zones industrielles de Kénitra à Mohammedia, avec un second point d’entrée prévu sur la côte Atlantique, en direction de Dakhla.
Ce développement n’est pas un simple enjeu d’approvisionnement. Il vise aussi à soutenir les besoins croissants de secteurs clés : production électrique, dessalement de l’eau de mer, industrie chimique (phosphate), et usage industriel général (refroidissement, climatisation).
Du Gharb à Tendrara : les gisements en éveil
La stratégie repose également sur l’exploitation des ressources nationales. Si le site de Tendrara a concentré l’attention médiatique, d’autres régions révèlent un potentiel tout aussi prometteur. L’entreprise britannique SDX Energy est active dans le bassin du Gharb, où elle affiche un taux de réussite de forage supérieur à 80 %. Sa concession de Sebou, acquise en 2016, génère aujourd’hui plus de 7 millions de pieds cubes de gaz par jour. SDX détient également 75 % des infrastructures locales de distribution, notamment vers la zone industrielle de Kénitra.
Le Maroc ne se contente donc plus d’explorer : il produit déjà, et structure un écosystème autour de cette production.
L’axe Nigeria-Maroc, ou la diplomatie du gaz
Mais la véritable carte maîtresse du Royaume s’appelle NMGP – le Gazoduc Nigeria-Maroc. Long de plus de 5 000 km, ce projet panafricain, rebaptisé « Gazoduc Atlantique » par les dirigeants africains, symbolise la profondeur stratégique de la diplomatie énergétique marocaine. Il reliera les immenses réserves du Nigeria à l’Europe, en longeant la côte ouest-africaine jusqu’au Maroc, traversant 13 pays.
Le projet suscite l’intérêt croissant des investisseurs internationaux. À l’occasion des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, le ministre nigérian des Finances a révélé l’intérêt des États-Unis pour prendre part à ce chantier. Une déclaration qui renforce la crédibilité d’un projet que le Maroc pilote avec détermination, dans un esprit de coopération régionale.
Gaz et transition énergétique : une compatibilité assumée
Choisir le gaz ne signifie pas renoncer à l’écologie. Le Royaume continue d’investir massivement dans les énergies renouvelables tout en consolidant une « flexibilité énergétique nationale », comme l’a expliqué la ministre Leila Benali sur Bloomberg. Le gaz est vu comme un relais, une énergie de transition qui permet de réduire l’empreinte carbone sans compromettre la sécurité énergétique.
En ce sens, le Maroc applique les trois règles d’or rappelées récemment par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) : diversification, prévisibilité et coopération. Il s’appuie sur des politiques stables pour attirer les investisseurs, diversifie ses approvisionnements et reste ouvert à tous les partenariats, qu’ils viennent des États-Unis, de la Chine ou de la Russie.
Une vision royale, une ambition continentale
Derrière cette stratégie, une vision : celle d’un Maroc qui mise sur son ancrage africain pour se positionner comme hub énergétique régional. Le Royaume n’a pas cherché à rivaliser dans une guerre des annonces, mais à construire méthodiquement son indépendance. Le pari est audacieux, mais il commence à porter ses fruits.
Demain, à l’horizon 2030, entre gisements renouvelables, gazoducs stratégiques et infrastructures modernes, le Maroc pourrait bien devenir l’un des piliers de l’architecture énergétique de l’Afrique et de la Méditerranée. Un « eldorado gazier » ? Peut-être. Mais surtout, une stratégie lucide, à la croisée des intérêts nationaux et des mutations globales.
Avec Challenge