Face à une crise hydrique qui s’installe dans la durée, le Maroc prend le contre-pied des apparences. Plutôt que de ralentir ses investissements, le Royaume accélère la cadence de construction de barrages, faisant de cette politique une réponse offensive aux défis climatiques, économiques et sociaux posés par la rareté de l’eau.
« Le climat marocain est marqué par une extrême variabilité, alternant sécheresses prolongées et épisodes pluvieux intenses. Pour faire face à cette imprévisibilité, il est vital de disposer d’infrastructures capables de stocker un maximum d’eau lors des rares périodes humides », explique Younes Laabdi, responsable à la Direction générale de l’hydraulique. La stratégie nationale repose sur une logique de prévention, visant à sécuriser les ressources en eau pour les usages agricoles, industriels et urbains, mais aussi à protéger les populations des crues destructrices.
Des chiffres qui parlent
Le Maroc ne part pas de zéro. Son patrimoine hydraulique compte déjà 154 grands barrages, capables de stocker plus de 20 milliards de mètres cubes d’eau. Mais l’ambition va plus loin. Dans le cadre du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, le pays s’est engagé à construire 21 nouveaux grands barrages, auxquels s’ajoutent 16 projets en cours, pour une capacité totale supplémentaire estimée à près de 5 milliards de mètres cubes.
Parmi les chantiers phares figurent le barrage Kheng Grou dans l’Oriental (1.070 Mm³), Ratba à Fès-Meknès (1.009 Mm³) ou encore le rehaussement du barrage Mohammed V, destiné à atteindre une capacité de 980 Mm³. Ces infrastructures ne se contentent pas de répondre à un besoin immédiat en eau : elles représentent un levier majeur de développement territorial, en irrigant les terres agricoles et en générant des milliers d’emplois.
Une réponse aux enjeux économiques
Au-delà de l’enjeu hydrique, cette politique se justifie aussi économiquement. Une sécheresse prolongée peut paralyser l’activité agricole, ralentir l’industrie et fragiliser les grandes villes. Les inondations, elles, engendrent des dégâts qui se chiffrent parfois en centaines de millions de dirhams. Les barrages, en amortissant les crues et en régulant le débit des eaux, permettent d’atténuer ces risques.
Cette approche est déjà à l’œuvre. Depuis 2022, cinq grands barrages ont été mis en service (Tiddas, Todgha, Agdez, Fask, Mdez), tandis qu’une politique parallèle de petits et moyens barrages vient renforcer les capacités hydrauliques locales, plus proches des besoins régionaux.
Des alternatives, mais pas de substituts
Certes, le Maroc mise aussi sur d’autres solutions : dessalement de l’eau de mer, réutilisation des eaux usées, optimisation de la demande. Mais ces pistes, bien que prometteuses, ont leurs limites. Le dessalement, notamment, reste énergivore et coûteux, ce qui restreint son application aux zones littorales et urbaines.
Pour l’hydrogéologue Amine Benjelloun, les barrages conservent donc un rôle central : « Ils permettent à la fois de sécuriser l’approvisionnement, de prévenir les catastrophes naturelles, et de contribuer à une politique d’aménagement équilibré du territoire. »
Un pari de long terme
En misant sur l’eau pour bâtir son avenir, le Maroc ne fait pas qu’ériger des murs de béton. Il structure une stratégie de résilience, où chaque barrage devient un bouclier contre la pénurie, un outil de justice territoriale, et un moteur de croissance. Un pari ambitieux, mais indispensable dans un pays où l’eau devient aussi précieuse qu’imprévisible.
Avec Le360