Le Maroc ambitionne d’atteindre plus de 52 % d’énergies renouvelables dans son mix électrique d’ici 2030. Mais la transition énergétique, aussi vertueuse soit-elle, n’est pas sans défis. L’Espagne vient d’en faire l’amère expérience avec une panne géante, dont l’origine, bien que toujours indéterminée, a ravivé les débats sur les limites techniques et sécuritaires des réseaux à forte composante verte.
En février 2024, la société Redeia, qui chapeaute Red Eléctrica Española (REE), avait déjà levé le voile sur un point de fragilité : la forte progression des sources intermittentes comme le solaire ou l’éolien, conjuguée à la fermeture des centrales conventionnelles (nucléaire, gaz, charbon), risque de créer des déséquilibres critiques dans la gestion du réseau. L’alerte figurait dans un rapport de 380 pages, soulignant que la montée en puissance des renouvelables s’accompagne d’une perte de ce que les ingénieurs appellent la « production ferme » – c’est-à-dire la capacité garantie, disponible à tout moment.
Ce phénomène, couplé à des installations plus petites et moins adaptables, rend le réseau plus vulnérable aux fluctuations soudaines de l’offre ou de la demande. À cela s’ajoute une menace croissante : celle des cyberattaques ciblant les systèmes informatiques du secteur énergétique. Redeia n’excluait pas ce risque dans ses projections, bien que REE ait depuis écarté cette hypothèse pour expliquer la panne du mois dernier.
Mais faut-il pour autant incriminer les énergies vertes ? Beatriz Corredor, présidente de Redeia, récuse cette lecture. Elle insiste sur le fait que les renouvelables « fonctionnent de manière sûre et stable » et que les risques évoqués dans le rapport relèvent davantage d’exigences réglementaires que d’une réalité actuelle. En d’autres termes, ce sont des précautions à prendre, pas des accusations.
Cette polémique, bien que localisée, dépasse les frontières ibériques. Elle interpelle directement le Maroc, qui investit massivement dans les énergies vertes. Si la trajectoire est jugée incontournable pour des raisons économiques, climatiques et géostratégiques, elle oblige aussi à repenser entièrement les infrastructures électriques, à anticiper les pics de production et à intégrer des technologies de stockage ou de secours fiables.
La panne espagnole sonne donc comme un avertissement plus que comme un procès. Oui, la transition est nécessaire. Mais elle devra être accompagnée d’une transformation profonde du système électrique, des outils de pilotage du réseau aux dispositifs de résilience face aux imprévus. Sinon, les ambitions climatiques pourraient se heurter aux réalités physiques du courant.