Sous l’effet des nouvelles régulations européennes et de la pression croissante en faveur de la décarbonation des transports, les carburants issus de l’hydrogène vert s’imposent progressivement comme une alternative stratégique pour les secteurs maritime et aérien. Dans un rapport de référence, la Banque mondiale estime que le Maroc dispose d’atouts structurels majeurs pour se positionner comme un fournisseur clé de ces carburants bas carbone, à condition d’accélérer la structuration de ses infrastructures portuaires et de son cadre réglementaire.
Intitulé Gateway to Green Energy: Moroccan Ports as Hubs for Hydrogen Fuel Development and Trade, le rapport met en avant une combinaison rare de facteurs favorables. Le Royaume bénéficie de ressources solaires et éoliennes parmi les plus compétitives au monde, condition essentielle pour produire une électricité renouvelable à bas coût, élément central de l’économie de l’hydrogène vert. À cela s’ajoute une proximité géographique immédiate avec l’Union européenne, principal bassin de demande à court et moyen termes, qui réduit les coûts logistiques et renforce l’attractivité du Maroc comme fournisseur de carburants décarbonés.
Quatre plateformes portuaires stratégiques
L’analyse de la Banque mondiale se concentre sur quatre sites portuaires appelés à jouer un rôle structurant : Tanger Med, Mohammedia, Jorf Lasfar et une plateforme portuaire projetée à proximité de Tan-Tan. Ces ports sont envisagés comme des points de soutage pour les carburants marins verts, des plateformes d’exportation vers l’Europe et des pôles de mutualisation des infrastructures de production, de stockage et de distribution.
Selon le rapport, cette mutualisation constitue un levier essentiel pour réduire les coûts et améliorer la viabilité économique des projets. Parmi les sites étudiés, Tanger Med se distingue par son potentiel à court et moyen termes. Sa localisation sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde, combinée à un écosystème logistique et industriel déjà mature, en fait un candidat naturel au rôle de hub régional, malgré une concurrence croissante d’autres ports africains et européens.
Une demande tirée par les normes internationales
La dynamique de la demande en carburants issus de l’hydrogène vert est étroitement liée à l’évolution des cadres réglementaires internationaux. La Banque mondiale souligne le rôle moteur de l’Union européenne et de l’Organisation maritime internationale dans la création d’un signal de marché crédible. Dans le maritime, des dispositifs tels que FuelEU Maritime et l’extension du système européen d’échange de quotas d’émission incitent fortement les armateurs à réduire l’intensité carbone de leurs carburants, renforçant l’intérêt pour l’ammoniac et le méthanol verts.
Dans le secteur aérien, le règlement ReFuelEU Aviation impose une incorporation progressive de carburants d’aviation durables (SAF). Les estimations reprises dans le rapport indiquent que l’Union européenne pourrait avoir besoin d’environ 14,8 millions de tonnes de SAF d’ici 2040 et 28,6 millions de tonnes à l’horizon 2050, alors que les capacités de production européennes demeurent insuffisantes. Cette situation ouvre une fenêtre d’opportunité pour des pays producteurs comme le Maroc.
Des contraintes économiques et techniques à lever
Malgré ces perspectives favorables, le rapport met en garde contre des contraintes économiques persistantes. Les carburants à base d’hydrogène vert produits au Maroc peuvent se révéler compétitifs face à certaines alternatives internationales, mais restent plus coûteux que les carburants fossiles conventionnels en l’absence de mécanismes de soutien appropriés, tels que des contrats de long terme ou des dispositifs de tarification du carbone.
À ces défis s’ajoutent des contraintes structurelles liées à la disponibilité du carbone et de l’eau. La Banque mondiale indique que les sources industrielles de CO₂ pourraient suffire jusqu’en 2040 pour la production de carburants synthétiques, mais qu’au-delà, le recours à la capture directe du carbone dans l’air deviendrait nécessaire, avec des coûts encore élevés. Par ailleurs, la production d’hydrogène par électrolyse exigera des volumes importants d’eau, rendant indispensable le développement d’unités de dessalement dédiées.
En définitive, la Banque mondiale considère que les ports marocains peuvent devenir des catalyseurs décisifs de l’économie de l’hydrogène vert, à condition d’une coordination rapide entre politiques énergétiques, infrastructures portuaires et cadres réglementaires. Une structuration réussie permettrait au Maroc de s’inscrire durablement dans les chaînes de valeur internationales des carburants décarbonés, au moment où celles-ci se mettent en place.
Avec Le360


