À Casablanca, un débat organisé par la GIZ (Coopération allemande) et le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) a mis en lumière une réalité désormais incontournable : au Maroc, les enjeux climatiques ne peuvent plus être dissociés des politiques économiques et sociales. La transition climatique n’est plus un simple sujet environnemental, mais un impératif de développement et de justice sociale.
Réunis autour du thème « Climat et transition juste – la Contribution déterminée au niveau national (CDN) et l’alignement budgétaire », experts, responsables publics et journalistes ont échangé sur les moyens financiers et politiques nécessaires pour atteindre les nouveaux objectifs du Royaume : une réduction de 53% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035.
Un pays sous stress climatique et hydrique
Ahmed Khalid Benomar, conseiller principal au MEF, a rappelé le contexte d’urgence : le Maroc fait face à une double tension, économique et environnementale, aggravée par un réchauffement local déjà supérieur à la moyenne mondiale. En quarante ans, le pays a enregistré une hausse de 3,2°C, bien au-delà des deux degrés fixés par les accords internationaux.
Cette situation, selon lui, impose une redéfinition du modèle de croissance. Le Maroc dispose déjà d’une stratégie climatique solide — politique de l’eau, barrages, énergies renouvelables — mais il faut désormais l’intégrer dans les décisions budgétaires et fiscales. « La transition verte doit devenir un moteur économique », a-t-il insisté, rappelant que les énergies renouvelables représentent déjà 47% de la capacité installée du pays.
Des incitations économiques au service de la transition
Pour accélérer cette mutation, les experts ont mis l’accent sur le rôle clé des instruments financiers. Sarah Diouri, directrice du bureau de Rabat d’Instiglio, a plaidé pour une meilleure articulation entre climat, emploi et pouvoir d’achat. Elle a cité l’exemple du Green Economy Financing Facility (GEFF), anciennement Morsef, qui a permis de financer plus d’un milliard d’euros de projets d’équipements verts.
Les subventions à la modernisation de la flotte de taxis ou à l’étiquetage énergétique des appareils ménagers illustrent, selon elle, l’impact direct des politiques vertes sur le quotidien des citoyens.
Du côté de la GIZ, Anselm Duchrow, directeur du programme Climat, Environnement et Eau, a expliqué que le projet soutenu par l’Union européenne vise à renforcer la mobilisation des ressources pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, notamment à travers des politiques fiscales plus incitatives.
Tarification du carbone et coopération internationale
Le débat a également abordé la question sensible du prix du carbone. Pour Gaëtan Ducroux, représentant de la Délégation de l’Union européenne, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) constitue une opportunité pour le Maroc. Il invite le Royaume à instaurer ses propres instruments de tarification afin de garder en interne les recettes issues de la décarbonation, plutôt que de les voir alimenter le budget européen.
Ce dispositif, adossé au Partenariat vert signé entre l’UE et le Maroc en 2022, incarne une approche de coopération où la compétitivité et la durabilité se rejoignent.
La transition juste, une question de justice sociale
Au-delà des chiffres et des mécanismes financiers, les intervenants ont souligné la dimension humaine de la transition climatique. Mohamed Alaoui, directeur général d’Africa Climate Solutions, a rappelé que la notion de « justice climatique » est née à Marrakech, lors de la COP22. Elle lie désormais toute politique climatique à des objectifs d’équité et d’inclusion.
Pour Nadia Zeddou, directrice de Green Wave, la nouvelle CDN 3.0 ne sera crédible que si elle s’ancre dans les réalités sociales et territoriales. « Il n’y a pas de justice climatique sans justice sociale », a-t-elle affirmé, appelant à une implication accrue de la société civile et des collectivités locales.
Un tournant pour le débat public
À l’issue des échanges, un constat s’impose : la question climatique doit désormais être au cœur des politiques publiques, au même titre que la croissance ou l’emploi. Le climat n’est plus un paramètre externe à l’économie marocaine, mais son nouveau cadre de référence.
La transition écologique, pour être juste et efficace, devra s’appuyer sur une fiscalité verte, des investissements ciblés et une gouvernance inclusive — autrement dit, sur une véritable alliance entre économie, environnement et équité sociale.